
Le recouvrement forcé des redevances domaniales constitue un enjeu majeur pour les personnes publiques propriétaires de domaines publics ou privés. Face à des redevables récalcitrants, les administrations disposent de prérogatives exorbitantes du droit commun pour obtenir le paiement des sommes dues. Cette procédure soulève néanmoins des questions juridiques complexes, à la croisée du droit administratif, du droit des propriétés publiques et du droit de l’exécution. Quelles sont les spécificités de ce recouvrement forcé ? Quelles garanties pour les redevables ? Comment s’articulent les différentes voies d’exécution ?
Le cadre juridique du recouvrement des redevances domaniales
Le recouvrement des redevances domaniales s’inscrit dans un cadre juridique spécifique, à la frontière entre droit public et droit privé. Ces redevances trouvent leur fondement dans l’occupation ou l’utilisation du domaine public ou privé des personnes publiques. Elles constituent des créances de droit public, soumises à un régime juridique particulier.
Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) pose le principe selon lequel toute occupation ou utilisation du domaine public donne lieu au paiement d’une redevance. Cette règle découle du caractère onéreux de l’occupation du domaine public. Le montant de la redevance tient compte des avantages de toute nature procurés au titulaire de l’autorisation.
S’agissant du domaine privé, les redevances trouvent leur source dans les contrats d’occupation conclus par les personnes publiques propriétaires. Leur régime juridique se rapproche davantage du droit privé, tout en conservant certaines spécificités de droit public.
Le recouvrement de ces redevances relève de la compétence du comptable public de la personne publique concernée. Celui-ci dispose de prérogatives exorbitantes du droit commun pour obtenir le paiement des sommes dues. En cas de défaillance du redevable, le comptable peut mettre en œuvre des procédures de recouvrement forcé.
Les fondements légaux du recouvrement forcé
Le recouvrement forcé des redevances domaniales s’appuie sur plusieurs textes législatifs et réglementaires :
- Le Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P)
- Le Code général des collectivités territoriales (CGCT)
- Le Code des procédures civiles d’exécution
- Le Livre des procédures fiscales
Ces différents textes organisent les procédures de recouvrement forcé et définissent les prérogatives des comptables publics. Ils prévoient notamment la possibilité de recourir à l’opposition administrative, au commandement de payer ou encore à la saisie-vente.
Le recouvrement forcé s’inscrit dans le cadre plus large de l’exécution des créances publiques. Il bénéficie à ce titre de règles dérogatoires au droit commun, justifiées par la nécessité de préserver les intérêts financiers des personnes publiques.
Les prérogatives exorbitantes du comptable public
Pour mener à bien sa mission de recouvrement, le comptable public dispose de prérogatives exorbitantes du droit commun. Ces pouvoirs lui permettent d’agir avec célérité et efficacité face aux redevables récalcitrants.
La première de ces prérogatives réside dans le caractère exécutoire des titres de perception émis par les personnes publiques. Contrairement aux créanciers privés, le comptable n’a pas besoin d’obtenir un jugement pour procéder au recouvrement forcé. Le titre de perception constitue en lui-même un titre exécutoire, permettant la mise en œuvre immédiate des voies d’exécution.
Le comptable bénéficie par ailleurs d’un privilège du préalable. Il peut ainsi engager les procédures de recouvrement sans avoir à solliciter l’autorisation préalable d’un juge. Cette prérogative lui confère une grande réactivité dans la poursuite des redevables défaillants.
Autre avantage majeur : le comptable dispose d’un accès privilégié aux informations sur la situation patrimoniale des redevables. Il peut notamment consulter le fichier des comptes bancaires (FICOBA) ou le fichier des contrats d’assurance-vie (FICOVIE) pour identifier les avoirs du débiteur.
L’émission du titre exécutoire
Le point de départ du recouvrement forcé est l’émission d’un titre exécutoire par l’ordonnateur de la personne publique créancière. Ce titre doit comporter plusieurs mentions obligatoires :
- L’identification précise du débiteur
- La nature et le montant de la créance
- Les bases de liquidation
- L’indication des voies et délais de recours
Une fois émis, le titre exécutoire est adressé au comptable public pour prise en charge. Celui-ci procède alors à un contrôle formel du titre avant d’engager les opérations de recouvrement.
L’émission du titre exécutoire marque le point de départ du délai de prescription de l’action en recouvrement. Ce délai est fixé à 4 ans pour les créances des collectivités territoriales et à 5 ans pour celles de l’État.
Les différentes procédures de recouvrement forcé
Le comptable public dispose d’un éventail de procédures pour obtenir le paiement forcé des redevances domaniales. Le choix de la procédure dépend de plusieurs facteurs : nature de la créance, montant dû, situation du redevable, etc.
La première étape consiste généralement en l’envoi d’une mise en demeure de payer. Ce document informe le redevable du montant de sa dette et l’invite à s’acquitter des sommes dues dans un délai déterminé. La mise en demeure constitue un préalable obligatoire avant l’engagement des procédures plus contraignantes.
En l’absence de paiement suite à la mise en demeure, le comptable peut recourir à plusieurs voies d’exécution :
L’opposition administrative
L’opposition administrative permet au comptable de bloquer les sommes détenues pour le compte du redevable par un tiers (banque, employeur, etc.). Cette procédure s’apparente à une saisie-attribution de droit commun, mais bénéficie d’un régime simplifié.
L’opposition administrative peut porter sur l’ensemble des sommes dues au redevable, dans la limite du montant de la créance. Elle produit ses effets pendant une durée d’un an, renouvelable.
La saisie-vente
La saisie-vente permet au comptable de faire saisir et vendre les biens mobiliers du redevable pour se faire payer sur le prix de vente. Cette procédure nécessite l’intervention d’un huissier de justice, qui procède à l’inventaire et à la vente des biens saisis.
La saisie-vente est soumise à certaines limites, notamment l’insaisissabilité de certains biens nécessaires à la vie quotidienne du débiteur.
L’avis à tiers détenteur
L’avis à tiers détenteur (ATD) constitue une procédure simplifiée permettant au comptable de saisir directement les sommes dues au redevable par un tiers. Cette procédure est particulièrement efficace pour les créances de faible montant.
L’ATD produit les mêmes effets qu’une saisie-attribution, mais selon des modalités allégées. Il peut notamment être notifié par voie électronique.
Les garanties offertes aux redevables
Si le recouvrement forcé des redevances domaniales confère d’importantes prérogatives au comptable public, il n’en demeure pas moins encadré par diverses garanties au profit des redevables. Ces garanties visent à préserver les droits de la défense et à assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence.
La première de ces garanties réside dans l’obligation d’information pesant sur l’administration. Le redevable doit être informé de l’engagement des procédures de recouvrement forcé et des voies de recours dont il dispose. Cette information prend généralement la forme d’une mise en demeure préalable.
Le redevable bénéficie par ailleurs d’un droit au sursis à exécution. Il peut ainsi demander au juge administratif de suspendre l’exécution du titre de perception, s’il estime que celui-ci est entaché d’irrégularité. Cette demande doit être accompagnée d’un recours au fond contre le titre.
Autre garantie fondamentale : le principe du contradictoire. Le redevable doit être mis en mesure de faire valoir ses observations avant la mise en œuvre des mesures de recouvrement forcé. Il peut notamment contester le bien-fondé de la créance ou son montant.
Les voies de recours
Le redevable dispose de plusieurs voies de recours pour contester les mesures de recouvrement forcé :
- Le recours administratif préalable auprès de l’ordonnateur ou du comptable
- Le recours contentieux devant le juge administratif
- L’opposition à exécution devant le juge de l’exécution
Ces différentes voies de recours permettent au redevable de faire valoir ses droits à chaque étape de la procédure de recouvrement.
Il convient de souligner que l’exercice d’un recours ne suspend pas automatiquement l’exécution des mesures de recouvrement. Le redevable doit pour cela solliciter expressément un sursis à exécution auprès du juge compétent.
Les enjeux et perspectives du recouvrement forcé
Le recouvrement forcé des redevances domaniales soulève de nombreux enjeux, tant pour les personnes publiques que pour les redevables. Il s’agit de concilier l’efficacité du recouvrement avec le respect des droits fondamentaux des débiteurs.
Du côté des personnes publiques, l’enjeu principal réside dans l’optimisation des recettes domaniales. Dans un contexte de contraintes budgétaires, le recouvrement effectif des redevances constitue un levier financier non négligeable. Les administrations cherchent ainsi à améliorer leurs taux de recouvrement en modernisant leurs procédures.
Cette modernisation passe notamment par le développement de la dématérialisation des procédures de recouvrement. L’utilisation croissante des moyens électroniques (notifications par courriel, paiement en ligne, etc.) permet de gagner en efficacité et en rapidité.
Du côté des redevables, l’enjeu majeur est la préservation de leurs droits face aux prérogatives exorbitantes de l’administration. Il s’agit notamment de garantir l’accès effectif au juge et le respect du principe du contradictoire.
Les évolutions jurisprudentielles
La jurisprudence joue un rôle crucial dans l’encadrement du recouvrement forcé. Plusieurs décisions récentes sont venues préciser les contours de cette procédure :
- L’arrêt CE, 9 mars 2018, n°406205 a rappelé l’obligation pour le comptable de justifier du caractère exigible de la créance avant d’engager les mesures de recouvrement forcé.
- La décision CE, 24 novembre 2021, n°437913 a précisé les conditions de mise en œuvre de l’opposition administrative en matière de redevances domaniales.
Ces évolutions jurisprudentielles témoignent de la recherche constante d’un équilibre entre efficacité du recouvrement et protection des droits des redevables.
En définitive, le recouvrement forcé des redevances domaniales s’inscrit dans une dynamique d’évolution permanente. Les procédures tendent à se moderniser et à s’adapter aux nouveaux enjeux, tout en préservant les garanties fondamentales offertes aux redevables. Cette évolution devrait se poursuivre dans les années à venir, avec notamment le développement de l’intelligence artificielle dans la gestion du recouvrement.